Le Ballet National d'Algérie en freestyle Abou Lagraa signe une chorégraphie très énergique, pleine d'enthousiasme.
Recommander Abou Lagraa signe une seconde création pour son ballet contemporain d'Alger, qui ouvre l'année Marseille-Provence 2013 au Grand théâtre d'Aix. En cette année Le Nôtre, on devrait enseigner aux chorégraphes l'usage du cordeau pour éviter que la volubilité de leurs
jambes ne dépassent les intentions de leur tête. Abou Lagraa le premier. Ardéchois d'origine algérienne, élève du Conservatoire National Supérieur de Lyon, assistant de Ruy Horta, l'homme est assez enthousiaste et ambitieux pour déplacer des montagnes. Sa compagnie, fondée en 1997, s'appelle la Baraka: tout un symbole! En 2006, il est entré dans le saint des saints signant une chorégraphie - ratée - pour le Ballet de l'Opéra de Paris. En 2010, revenant à ses origines, il a créé à Alger, avec le mécénat de BNP Paribas, un ballet contemporain dont il mêle les danseurs aux siens pour El Djoudour (Les racines), création qui ouvre l'année Marseille-Provence capitale européenne de la Culture au Grand théâtre d'Aix. Trois premiers quart d'heure étincelants Écrite pour quatorze danseurs, la pièce commence magistralement. Les trois premiers quart d'heure étincellent: le corps de ballet féminin avec des bras qui dessinent de somptueuses calligraphies, se distingue du corps de ballet masculin proférant une gestuelle tout en démonstrations de force. Après avoir successivement occupé la scène, les deux camps s'y confrontent de part et d'autre d'une barrière invisible: femmes spirales contre hommes au pas de charge, elles charmant l'espace, eux le déchirant, dans un dialogue puissant d'élan vers l'autre, et furieux de son empêchement. Les musiques alternent chant, oud, musique électronique, djembé, stridences, pour souligner ce à quoi aspirent les interprètes: toucher l'autre. L'image est particulièrement belle lorsque la chanteuse Houria Aïchi fait vibrer par les seules inflexions de sa voix le corps d'un danseur qui reçoit son chant du bout des doigts et le laisse remonter comme une onde jusqu'au centre de son corps. Une planche de salut pour les danseurs Hélas, trois autres quart d'heure suivent qui installent un chaos désarmant: jets de terre, d'eau, de corps, débauche de mouvements qui tournent au grand n'importe quoi, faute de propos. Lagraa jure qu'il va remettre l'ouvrage sur le métier, avant qu'il n'entame sa tournée nationale. On veut le croire. Malgré ses désordres, deux vertus sauvent El Djoudour du naufrage. D'abord, l'envie dévorante de s'exprimer par la danse des jeunes du ballet contemporain d'Algérie . Ils étaient jardiniers, vendeurs ou cuisiniers. Cette expérience leur sert de planche de salut: ils ont lorsqu'ils dansent un charisme de prophètes. En trois ans, leurs progrès sont sidérants. Ensuite, Lagraa possède un authentique talent de chorégraphe. Sur la durée, El Djoudour ne tient pas un propos cohérent mais elle est écrite d'un bout à l'autre avec une gestuelle remarquable: elle mêle hip hop, classique, contemporain d'une manière qui n'appartient qu'à Lagraa et transforme le moindre solo ou duo en pépite.
Du sang neuf au Ballet national d'Alger L'institution vient de créer une cellule contemporaine.
Elle est en tournée avec Nya, sa première création. Le soir où la cellule contemporaine du Ballet national a donné sa première représentation de Nya à l'Opéra d'Alger, les 800 places du théâtre à l'italienne étaient occupées: des officiels et des fans. Le lendemain et le surlendemain, une file ininterrompue se pressait pour avoir des places. Il a fallu improviser un écran en plein air pour satisfaire tout le monde. Même triomphe - écran en moins - à la Biennale de danse de Lyon où Nya a débuté sa tournée en France. Les dix danseurs semblent si heureux qu'on a l'impression qu'ils vont monter dans les gradins pour embrasser le public. Nya signifie «confiance dans la vie». L'exacte définition de ce projet un peu fou, lancé par le chorégraphe Abou Lagraa, 39 ans. Lyonnais d'origine algérienne, il a passé dans son enfance toutes ses vacances avec ses cousins à Oran. Les années noires le séparent de sa famille. En novembre 2008, il rencontre l'écrivain Yasmina Khadra et lui confie son envie de profiter de l'apaisement pour «faire quelque chose» en Algérie. Khadra joint Khalida Toumi, ministre de la Culture, qui reçoit Abou Lagraa. Quoi de mieux que le spectacle de corps dansant en liberté pour signifier urbi et orbi la nouvelle ère dans laquelle le pays s'installe? Enthousiasme communicatif Abou Lagraa est ainsi chargé de créer une cellule contemporaine au ballet d'Algérie, compagnie de danses folkloriques qui met en couleurs les apparitions des politiques aux quatre coins du pays. Le projet se monte à toute allure grâce, côté français, à la Fondation BNP Paribas, au conseil général du Rhône et au Conseil pour la création artistique. Abou Lagraa montre ses créations en Algérie, participe aux Jeux panafricains et lance les auditions. Les dix élus signent un contrat de trois ans payé au-dessus du smic. À Alger, on n'a pas vu de danse contemporaine depuis une tournée de Maurice Béjart dans les années 1970. Quant aux trois conservatoires hérités des Français, ils sont à l'abandon. Pourtant 400 hommes se présentent, dix filles aussi qui toutes abandonneront. «Surtout dans les sociétés orientales, les filles doivent avoir un diplôme et travailler pour être émancipées. Danseuse n'est pas un métier», dit Mokhtar Boussouf, 37 ans, un des danseurs recrutés. Il a quitté son poste d'architecte paysagiste. D'autres étaient prof d'anglais, coiffeur, pizzaïolo… «Ma mère et ma tante étaient chorégraphes. Moi je rêvais de danser, mais il était hors de question d'en faire mon métier. Quand j'ai regardé sur YouTube des extraits d'Allegoria Stanza, un spectacle d'Abou, je m'y suis reconnu tout de suite. Il y avait de la puissance, de la sensualité, une liberté, quelque chose qui venait du cœur et qui permettait à un homme de montrer sa vulnérabilité tout en restant fort.» Avant de présenter Nya à Alger, l'entraînement a duré sept mois, assuré par Abou Lagraa, sa femme Nawal et des professeurs de danse des grandes compagnies françaises. «Ce qui compte, dit Abou Lagraa, c'est de former des danseurs capables à terme de prendre en charge les générations à venir en Algérie. Pour le spectacle, je chorégraphie le Boléro de Ravel et des chansons d'Houria Aïchi, mais ça n'est qu'un prétexte.» Un peu trop modeste: dans son Boléro présenté en première partie de Nya, l'enthousiasme des dix garçons se lit, intact. L'an prochain, sept filles les rejoindront à eux. En tournée : les 13 et 14 octobre à Annecy, les 19 et 20 octobre à Valenciennes, le 14 janvier à Mâcon, les 21 et 23 janvier à Suresnes, le 26 à Besançon, les 28 et 29 janvier à Clermont-Ferrand.